Il fallait bouger aujourd’hui car l’enfermement guette, là, dans le airbnb cerné de voies rapides, et il ne faudrait pas que ce provisoire dure trop longtemps. Avons traversé la ville jusqu’à la zone 2, parqueo Minerva où s’exerçait une fanfare de lycée – Guatemala pays de fanfare, le saviez-vous ? – et où d’autres gamins jouaient au foot entre les arbres. Première fois depuis l’arrivée que nous avons la sensation d’air et de verdure, puis déambulation devant les grillages qui ferment l’accès à l’immense Mapa en Relieve du pays (ce que nous voulions visiter). Ensuite musée Popol Vuh pour introduction à l’histoire et à la culture Maya. Le soir, premier ciné guatémaltèque, Megalodon 2 avec Jason Statham : délicat et naturaliste.

Fin du Onzième Roman, de Dag Solstad : étrange texte composé entièrement en mode mineur, l’air de rien. Et pourtant on n’en rencontre presque jamais, de ces personnages aussi normaux que désespérants, aussi normaux qu’absurdes. Dans la préface, Murakami dit, en gros, si je me souviens bien, qu’il s’agit de l’unique exemple d’un roman qui soit à la fois réaliste et postmoderne, ou quelque chose comme ça. Un livre qui dissimule son abîme derrière un micro-réalisme à la Carver. Chelou (mais pas tant que ça), mais vachement bien.


Presque rien. Demeurons dans la bulle fonctionnelle mais sans charme du airbnb, pour éviter de nous colleter la ville. Sommes dans l’attente du moment où, dans deux ou trois jours sans doute, nous pourrons réellement, guatémaltèquement nous élancer.


Bien sûr qu’on ne connaît jamais un pays tant qu’on n’y a pas pris le bus – et je ne connais pas le Guatemala mais j’y ai déjà pris le bus.

Chicken bus monstres d’acier bariolés de couleurs vives, aux zingueries lustrées, charriant sur leur passage un panache de fumée noire caricaturale. Ils n’indiquent pas où ils vont, leurs arrêts ne sont pas signalés : il suffit de se mettre au bord de leur chemin, de faire signe et de monter – c’est un système d’initiés.

Sommes donc partis en bus tôt matin pour Atitlán. Les femmes là-bas s’habillent de huipils somptueux ; le lac est grand parait-il comme Paris et parsemé de villages qui, par un peu de crade au bord des routes, ont le bon goût d’échapper au pittoresque. Enfants jouant au foot sur le terrain municipal avec un ballon hernié. Avons mangé un poisson maigre et bu un truc ignoble spécialité guatémaltèque, la cimarrona.

Le pays vient, passe mes premières défenses. Les assistants (copilotes ?) dans les chicken bus gueulent : “Guate ! Guate !” pour signaler aux passants qu’il est en direction de la Ciudad. Lorsque tout le monde est monté et qu’il n’y a plus de place, ils grimpent sur le toit par la porte de devant, traversent et reviennent par la porte de derrière s’installer avec les fagots. Le pays vient – cette odeur de fioul ne me quitte plus.


Deux derniers jours vomi et chiasse, cause (sans doute) une sorte de courge achetée au pif à la Torre. Avons signé le contrat pour l’appart, acheté un lit et loué une bagnole pour deux semaines. Le soir, rencontre avec les collègues de français dans une excellente pizzeria zone 4. Certains sont là depuis trente ans, d’autres depuis deux jours, et ça me semble à moi tout à fait normal, mais en vrai c’est absolument incroyable, de retrouver ces gens ici. Les anciens m’expliquent un peu de Guatemala : ici le mot indian peut être utilisé comme une insulte ; il existe à Atitlán une divinité maléfique dont il faut suivre la trace.


Rentrée déjà demain, voir le lycée, conduire guatémaltèquement, formalités administratives et emménagement dans l’appartement. Premier vrai stress depuis l’arrivée – sensation bête qu’il faudra être à la hauteur, habile et vif.

Plus de dix années que je n’ai pas parlé allemand, mais dès que je voudrais prononcer quelques mots en espagnol ce sont mes rudiments d’allemand qui reviennent inexplicablement. – Quieres una cerveza ? – Né né, ich will null ein… euh… quiero… J’en veux beaucoup à ma tête d’être ce qu’elle est, nuageuse. Le Guatemala, pourtant, m’a-t-on dit hier, est le pays de l’éternel printemps.