Guatemala ! Flics par cinq ou six à l’arrière des pickups ; ciel gris déraisonnablement haut ; câbles et poteaux embrouillés jusqu’au ciel ; affiches placardées aux arbres pour le second tour de la présidentielle.

Venons de paraître au-delà de l’Atlantique, au-delà de notre monde, ailleurs, et ce soir pourtant – c’est ça le jet lag ? – nous ne sommes nulle part, ou bien dans une bulle qui flotte étrangement. Rien de tout cela n’est réel. Le Guatemala n’est pas vrai.


Aucune sensation toujours d’être où je suis. Exploration de la ville aujourd’hui (j’écris vile) impressionnante et brutale, odeurs âcres d’essence qui prennent à la gorge et piquent les yeux. C’est un rugissement infini de moteurs énormes habillés en 4x4, de camions-citerne médiévaux qui s’écoulent à toute vitesse le long de la diagonale 6 à côté de laquelle nous vivons. Il est impossible d’atteindre le centre-ville à pied tant le trafic est dense ; le centre-ville est une place décatie bordée d’une cathédrale et d’un palais national aux allures de château-fort. De jeunes hommes en uniforme, très jeunes, à peine vingt ans, s’exercent sans vigueur ni synchronisation à la marche militaire, sous l’oeil d’un chaperon pas beaucoup plus vif.

Au retour en taxi, un bidonville immense se découvre quelque instants en contrebas d’une tranchée au coeur de la ville – milliers d’hommes et de femmes pour qui l’accès à la route où nous surplombons n’est pas permis.

De l’espagnol, je ne perçois que des sons, que je suis incapable de découper en mots. Quand il faut dire quelques mots, même les plus simples, les opérations mentales à effectuer pour que l’ensemble vienne correctement en bouche me sont si exigeantes que je reste bêtement bouche bée, devant la boulangère qui me demande si je paye par carte ou en liquide.


Aucun tag dans cette ville, comme si les gens ne s’exprimaient pas. Un tout de même, sous l’encadrement d’une fenêtre du palais – corrupto.

Soir je lutte contre le décalage horaire, couché 22h minimum sinon c’est réveil trois heures et nuit niquée.


Visites d’appartements. Une agente immobilière dans un grand pick-up ford nous fait le tour des popotes. Visitons des tours de style dubaïote, immenses métalisées avec patios, piscines et salles de sport. On nous propose de faire partie des maîtres de la ville, j’imagine. Mais il y a aussi un petit appartement en zone 15 de type mediterranéen, sans ostentation, donnant sur un grand toit dont nous ferons une terrasse.

Puis verre avec W. et N. dans un bar à bières de la zone 10.


Veille d’élection. Les portraits de “Sandra” sont partout. Le matin, écoutons la radio guatémaltèque sans en comprendre un traitre mot.

Guate est une ville américaine. Comprendre ça, je crois que c’est déjà gagner du temps. Les riches quittent leurs buildings climatisés pour circuler dans des engins hors-normes au-dessus de la cohue. La ville est structurée par et pour la voiture ; le piéton quand il existe est dans la marge, dans l’intervalle qui se referme d’un clap. Ce matin, au carrefour, durant le temps du feu rouge, des types proposaient aux automobilistes un spectacle de danse avec cabrioles et sauts périlleux. Quand le feu passait au vert, ils recommençaient de l’autre côté.


Jogging ce matin sur la cyclovia d’une des artères les mois encombrées de la ville. En quelques jours à peine, avons déjà pris l’habitude des bagnoles à cul et des gaz d’échappement. À Paris, courir le long d’un boulevard, je ne l’aurais même pas envisagé.

Bernardo Arévalo a gagné largement la présidentielle. Nous nous sommes rendus sur la plaza Obelisco, à vingt minutes de marche – malgré l’interdiction formulée par l’ambassade de sortir la nuit – pour observer la foule, très jeune, en liesse. Je ne connais rien à ce pays, mais drôle de se dire que nous arrivons peut-être au moment d’une inflexion.