Juste sous mes fenêtres, cinq ou six jeunes un peu crasseux, la vingtaine, la moitié de fille et l’autre de garçon ont installé pour le confinement tables et chaises de camping sur le trottoir. Ils tiennent salon, font des barbeucs en gueulant à longueur de journée. Ils habitent le bâtiment délabré d’en face, nommé « hôtel le Cèdre. » À chaque fois je me fais la réflexion, ça ressemble à un hôtel de passe.
Depuis une semaine, chaque début d’après-midi, un de leurs amis se pointe au volant d’une Jaguar caricaturale aux vitres opaques. Il se gare, ouvre les portières et met la sono à fond pour ambiancer toute la rue. Bien sûr, dans ma petite résidence pour vieux, on n’apprécie pas vraiment l’ambiance moulax et autotune. Je pense que tout le monde est à cran, les jeunes fêtards aussi.
Plus d’un mois qu’ils sont assignés à résidence dans leur trou à rat. Quelque part je les comprends. La musique, les gueuleries, c’est pour s’amuser mais aussi pour exciter tout le monde. Manière de dire, faire comprendre : maintenant il faut que quelque chose se passe.
Mais la voisine du dessous, la prof de français, me l’a fait comprendre l’autre jour : s’ils continuent, ça sera les flics.
N.A. Je ne suis pas fait pour écrire le soir. Je m’y essaye depuis le début du confinement, mais de toute évidence ça ne marche pas. Parfois le texte me dégoûte. La moindre de mes tournures de phrase, le moindre de mes mots totem, tout ce qui dans le texte porte ma signature, me dégoûte. Putain mais fais simple !
Acheté le dernier Pacôme Thiellement, en dix secondes sur un coup de tête, à cause d’un tweet où il y avait la couverture et un chat mignon. Aussi parce que je trouvais le titre intriguant et la couverture jolie.
Mais faire ça, l’achat impulsif, ce n’est pas foutre de l’argent par les fenêtres. Pour une fois, je me donne la chance d’ouvrir un bouquin qui ne soit pas du tout pour moi. (Et pour cause, Tu m’as donné de la crasse et j’en ai fait de l’or…, c’est du développement personnel, mais adossé aux gnostiques !) Il faudrait que j’achète mes livres comme ça maintenant, presque par hasard.
Lu quatre nouvelles d’Amy Hempel pour les nouvelles traductions de G. Mine de rien, grâce à lui, je deviens intime avec elle.
Projet d’une nouvelle inspiré d’un fait-divers américain : à force d’abrutissement et de haine, un couple de pauvres gens se tue en avalant de la Chloroquine.
Mais les cravatés commencent à dire qu’il va falloir travailler mieux et plus, puisque la fin du monde ne serait que différée. Et je suce des pastilles contenant 1,5mg de nicotine pour calmer leurs démangeaisons à eux.
Dans un article de didactique, je lis que l’élève est un « sujet psycho-affectif ». Tristesse de quitter l’Espe sur des perspectives si radieuses…
Dans un mail, MP. me fait remarquer qu’il n’y a pas d’inversion du sujet après « ainsi » placé en début de phrase. Mais comme toujours, Grevisse et la GMF nuancent — oui mais de toute façon, l’usage fait loi.
M’enfin, depuis dix ans que j’écris, combien de fois j’ai dû écrire des phrases qui me semblaient élégantes, distinguées, commençant par : « ainsi était-il…, etc. » — et les gens vraiment élégants, vraiment distingués, ceux qui savent vraiment le français, quand ils me lisaient devaient bien se dire : celui-là n’est pas de la tribu.
Alors quand je reçois ce mail, pourtant gentil et affectueux, me signalant cette erreur, moi qui passe littéralement mon temps à former des phrases et à les réfléchir, je me dis que décidément jamais, jamais je ne saurais faire partie de la tribu. Et bizarrement, si ça me vexe, ça ne m’attriste pas. Kafka dit que j’ai des armes, et puis il doit bien y avoir des chemins de traverse.
Car toute l’ironie du : « je parlerai en sorte que moi-même et les autres, l’un pour sa délectation et les autres avec respect, sachions que j’habitais le coeur du langage quand ils erraient à ses entours. » (Pierre Michon)
Revu Le Cerle rouge. Splendide ! Je me demande souvent pour quelle raison, vers 25 ans, j’ai cessé d’aimer le cinéma, et pourquoi à trente ans passés, alors que j’ai bazardé tout le matériel ad hoc qui transformait ma chambre en salle de cinéma, je recommence à désirer les films.
Peut-être qu’auparavant mon esprit était trop spongieux ; je craignais le pouvoir de séduction de l’image. Je me rendais bien compte que j’écrivais en pensant à des images de cinéma, et pour moi c’était catastrophique.
À présent que j’ai perdu quelques neurones dans la bataille, mon cerveau n’est plus si spongieux et le pouvoir d’attraction de l’image moindre. D’ailleurs, je ne crois plus penser mes phrases d’une manière cinématographique.
Très mal dormi cette nuit. Sensation d’un rêve, mais comme si, immédiatement après l’éveil, confus au milieu de la nuit, j’avais préféré ne pas m’en souvenir.
Toute la journée avec cet échauffement chronique aux tempes et dans les joues. Tremblements légers dus à la fatigue. Quatre cafés, une dizaine de nicotines. Le coeur à fond dans l’après-midi et les jambes fébriles. Je voudrais vraiment connaître le chemin pour me rappeler mes rêves.
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