Comme si d'exister dans les parages des volcans me faisait sentir la terre plus vive.

Chaque jour depuis ma fenêtre je vois la silhouette d'un volcan.

C'est un changement dans ma compréhension du monde.

Celui-là s'appelle Agua. On le débusque dans la perspective de l'Acatenango et du Fuego.

Selon les jours il apparaît noyé dans la poix de la Ciudad, ou étouffé par ce soleil argenté qui brûle la rétine et donne au béton des couleurs de pastel.

Il y a beaucoup d'autres volcans – qui ne se laissent pas davantage apprivoiser.

Le Volcan est en même temps fertile, en même temps une catastrophe à venir. C'est ce que disent tous les livres d'histoire, toutes les mémoires collectives, tous les rapports d'activité.

Mais j'ai compris que le Volcan travaille autre chose en moi. Une sensation inattendue, indécente pour des générations de victimes. J'ai mis longtemps à comprendre que le Volcan me rassure.

Le Volcan ne cesse jamais le travail. Sous la terre dans l'axe du cratère j'imagine une forge aux chaleurs invraisemblables où s'agitent et dégazent les roches basaltiques, et en dessous les entrechocs des continents à la dérive.

– Une machine infinie à la puissance sans mesure.

En 1982 le volcan Santiaguito – en réalité un dôme de lave appartenant au volcan Santa María – a détruit le village d'El Palmar à proximité de Xela.

Les nuées ardentes du Santa María, du Fuego ou de l'Agua pourraient bien détruire demain les principales villes du Guatemala. Une puissance sans mesure.

Car au long des millénaires le Volcan ne cessera pas son affaire souterraine, permanente avec la roche et la chaleur qu'il régule et dont il gouverne la tectonique.

Car au fond du Volcan demeurent des forces inaccessibles et hors de contrôle. Une machine infinie.

Ça me rassure.

Le travail d'écriture que je mène ces temps-ci est le récit d'une catastrophe massive causée par la mort de volcans. Les volcans meurent parce qu'à détraquer toute la terre, nous détraquons enfin les machines les plus indétraquables qui soient. Alors c'est la catastrophe – car ce qui tenait ensemble ne tient plus, ne peut plus tenir. Things fall apart ; the center cannot hold. C'est la catastrophe – car les volcans ne sont plus immuables – et on n'a plus à quoi se fier – et on n'a plus à l'horizon de quoi se rassurer.

Moi, je voudrais qu'on pleure l'agonie d'un volcan comme on pleure la fin de l'infini.