J’entame la construction d’un nouveau site pour remplacer le Medium, que je trouve trop rigide malgré sa grande simplicité. Surtout, je souhaite un espace qui soit à moi. J’imagine une cabane sur pilotis au milieu d’un océan. Hier, A. me disait que pour son site, il avait été au plus simple : le premier thème venu et le moins de bidouille possible. J’étais d’accord avec lui — hier –, mais je commence à me prendre au jeu de la bidouille. J’imagine pour le futur site les mille et une possibilités graphiques et ergonomiques que m’offre Avada, le thème onéreux dont je viens de faire l’acquisition, acheté pour la promesse d’une interface entièrement wysiwyg.
Voilà la différence : il y a six ou sept ans, je souhaitais déjà me faire un site — projet avorté par manque de constance ; j’en étais au même point qu’aujourd’hui et je m’y connaissais à peine plus que maintenant. Pourtant, je n’avais pas hésité à explorer les feuilles de style, à taper des lignes de code dans d’obscurs langages de programmation dont je trouvais les morceaux sur des forums geeks. C’était l’aventure. Je ne craignais pas mon ignorance et ne doutais pas de ma capacité à la surmonter. À l’époque, le code était un domaine que je voulais maitriser. Aujourd’hui c’est terminé. J’ai renoncé à comprendre la subtilité du code. Je ne serai jamais un codeur. Parce qu’il faut choisir ses combats, renoncer, car le temps presse désormais et quoi qu’il en soit nous serons perdants.
Visite de D.L. en cours upe2a. Il me répète, presque mot pour mot, les recommandations que m’avait faites M. il y a quelques semaines — j’ignore pour quelle raison cela me surprend encore. Ce n’est pas parce que mes élèves sont allophones qu’il faut renoncer à enseigner des choses qui me plaisent. Par exemple, je me suis lancé avec eux dans l’étude d’un conte d’Andersen car il me semblait accessible. Mais D.L. a bien senti que les contes ne me passionnent pas et que je me contrefiche d’Andersen. Pourquoi ne pas leur faire découvrir quelque chose qui me passionne ?
Il touche là, je crois, à un agencement que je rechigne à modifier. J’ai toujours souhaité séparer radicalement ma vie littéraire, mes lectures personnelles, de toutes mes vies professionnelles. C’est ce qui me sécurise, et justifie mon fantasme de furtivité sans lequel rien ne m’est confortable. Mais M. et D.L. ont sans doute raison : c’est aussi à cette condition — décloisonner — que je saurais dire quelque chose aux élèves.
D.F. Wallace. Consider the lobster. L’article sur les AVN Awards, les Oscars du porno, est un petit chef d’oeuvre de vivacité intellectuelle. L’Amérique qu’il décrit, dès 1997, est la matrice trumpienne vingt ans plus tard.
J’allais écrire : travaillé sur le site. Faux. J’ai joué avec le site. Je déplace des trucs et des bidules, je modifie des réglages pour voir, et j’y passe, au contraire de ce que je m’étais promis, un temps fou. La structure est désormais posée, il faut maintenant entrer dans les détails de l’ergonomie et de la lisibilité. Par exemple : est-ce qu’une police de caractère parfaitement noire est la mieux lisible ? Je crois que non.
Caserne — couvent — prison : un établissement scolaire, me dit T., c’est tout cela à la fois.
Plus d’un an que je suis prof à présent. Pour la première fois ce matin, je n’ai pas eu envie d’enseigner. Souvent, je n’ai pas eu envie d’aller travailler, ou bien j’ai détesté être au collège, mais aujourd’hui c’était différent. Je n’ai pas eu envie d’aider les élèves et de leur transmettre quoi que ce soit. Tu ne sais pas comment former cette phrase ? Je m’en fous.
Hier soir, pour la dixième fois au moins, revu Heat. Quand De Niro emprunte subitement la bretelle d’autoroute au lieu de filer à l’aéroport, à chaque fois j’espère qu’il ne le fera pas et qu’une fois de plus, comme il l’a toujours fait, il sera raisonnable. Mais c’est oublier — je l’oublie toujours — qu’il n’est qu’un psychopathe un peu mieux camouflé que les autres, un type que ne vit que pour l’adrénaline, capable, pour assouvir son vice, de mitrailler dans la foule.
Ce matin chez Gibert Jeune, place Saint Michel, pour acheter des manuels FLS. Dans quelques semaines, ces petites boutiques tristes et déshéritées, dont les néons blancs donnent un aspect de morgue, seront fermées. Au rayon littérature, il n’y a plus que le trois fois rien du tout venant, des couvertures pour gens déprimés qui boivent du chocolat chaud en grosses chaussettes.
Je lis dans le Ouest France que la ville de Vendôme a vendu les droits de son nom à LVMH en échange d’une promesse d’emplois. Chez Gibert, j’ai vu le dernier livre d’Alain Duhamel qui s’appelle (de mémoire) Emmanuel, l’enhardi avec la tronche de Macron en majesté. Les deux choses n’ont rien à voir entre elles, pourtant je me souviens avoir ressenti à quelques heures d’intervalle la même colère inexprimable. J’ai essayé d’expliquer à M. toute la dégueulasserie des livres des gens comme Duhamel. La flagornerie, la longévité merdeuse des petits valets qui s’imaginent vieux sages. Quand j’ai lu l’article sur LVMH, je me suis souvenu du bouquin de Duhamel. Ce soir j’y repense, mais ça n’a toujours aucun rapport. Pourtant, ça m’énerve de la même manière. Il doit y avoir quelque chose.
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