La grande M., qui sait à peine lire et écrire, et s’ennuie profondément durant le cours. Elle est impassible, toujours de bonne humeur avec ses yeux en forme d’amande – a-t-elle été testée pour une légère trisomie ? ; pour l’instant ça tient. Quelque chose en elle – son esprit de petite enfant dans un corps trop adulte ?, sa manière de s’élancer à toutes jambes à la fin du cours ?, ou sa façon de se laisser envahir par le sommeil à la fin des quinze premières minutes ? – quelque chose en elle, en tout cas, m’impressionne et me remplit d’émotion. Je me dis que j’aimerais l’aider et j’ai le réflexe de vouloir me la mettre dans la poche au préalable – mais je sais aussi, maintenant que j’ai un peu plus d’expérience, que tout ça est un piège. Ce n’est pas ma sollicitude qui l’aidera, vraiment pas. Le préalable, c’est que mes cours puissent lui dire quelque chose.
Beauté d’un cinquième. K., son bic en morceaux dans la bouche, la bouche dégoulinant d’encre parce qu’il a mordu la cartouche, s’aspergeant le visage de gel hydroalcoolique pour se nettoyer.
Colère ou agacement, je ne sais pas, contre moi-même à propos de ce passage de la NA où j’écris le mot grécité. B. me le signale : je dis mal une chose que je ne maîtrise pas, avec laquelle je ne suis peut-être même pas d’accord, mais que j’ai tout de même encouragée, développée jusqu’à la rendre indispensable, par pur snobisme. À présent, je ne peux plus ne pas en tenir compte.
Vu G. et A., ensemble, première fois je crois. Causons de la déception de Q.L. à propos des critiques. On m’expose le problème : il souhaiterait que les gens écrivent des critiques émotives de son livre. Quelque chose qui touche et parle à tout le monde, car ce sont ces écrits-là qui ont le plus de force. Des choses qu’on dit avec les tripes. Par exemple – c’est dans son journal (je lirai plus tard) : « Machin est vraiment mon personnage préféré ».
Je ne suis pas d’accord et je crois que c’est un leurre. Que la critique wannabe haut de gamme, disons, soit le plus souvent ratée et inutile, c’est évident, je me viande assez souvent là-dessus pour le savoir. Mais « Bidule est vraiment mon personnage préféré », c’est une marque d’engagement, pas une critique. La fonction de la critique n’est pas de donner envie. Pour moi, c’est d’abord la production d’un raisonnement sur un texte et, dans le meilleur des cas, une oeuvre par-dessus. Je n’y vois aucun inconvénient, elle a même le droit d’être parfaitement inepte.
Toutefois, pas nier que le manque de marques d’engagements suscitées par les livres que nous, intellos, lisons, est un vrai problème. Mais je crois que ce n’est absolument pas la faute de la critique.
Rêvé cette nuit de Michel Jarnigon, ex-entraîneur de la glorieuse GSI Pontivy, désormais adjoint au maire en charge de la jeunesse et des sports. Aucune idée, par contre, de pourquoi j’ai rêvé de lui et à quel propos.
Nouveau cours raté avec les 5C. Impression que c’est mon énergie – je m’épuise en classe – qui les bordélise. En quelque sorte, je voudrais le beurre et l’argent du beurre : j’allume des feux d’artifice aux quatre coins de la classe, parce que c’est joli, mais je refuse qu’ils explosent à grand bruit.
Et puis la phrase de Q.L., rapportée par A. et G. m’a tourné dans la tête toute la journée : « j’aimerais seulement qu’on dise : Copperfield est vraiment mon personnage préféré. »
Rivage. Livre étonnant. Je comprends mieux son commentaire à propos de la critique. Le livre est en permanence à deux endroits à la fois : loin de son sujet et de son lecteur, distance ironique presque hipster, et en même temps le nez dans le cul des choses et des émotions. Les personnages meurent vraiment et leurs émotions peuvent être terribles.
Je crois qu’il y a un peu de ça dans P’tit Quinquin. Le jeu intellectuel avec les lieux communs du genre n’empêche pas l’expression de l’émotion vraie. À la fois complètement distancié et complètement sincère. Rare.
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