Ai quitté Kokkala à six heures, le village dormait encore et le soleil s’est levé pendant la marche face aux falaises, entouré de mer limpide et rougeoyant à l’horizon. «Recommencer sa naissance », écrivait Lacarrière. On m’a rapidement pris en stop, un vieux au regard curieusement clair, qui ne parlait qu’en grec, sans cesse, débit rapide, et il ponctuait ses discours de « katalaveis ? » (tu comprends ?), et pour ne pas le vexer je répondais invariablement « nai » (oui) — satisfait, il reprenait le cours de son monologue…
Les cimetières sont nombreux dans le Magne. Chaque fois que nous en croisions un, le vieux se taisait d’un coup, lâchait d’une main son volant puis se signait d’un air pénétré. Le cimetière dépassé, il recommençait à parler. Les choses d’ailleurs ont failli aller trop loin, puisque le maniote avait semble-t-il décidé, pour me simplifier la vie, de m’emmener jusqu’à Aréopoli, à l’opposé de ma destination, Gythion. J’ai dû insister en faisant de grands gestes, non je n’irai pas à Aréopoli, je sais c’est plus simple mais je ne veux pas. Et déposez-moi ici s’il vous plaît. Katalaveis ? Nai.
Plus tard, sur la même route, le couple qui tient la petite auberge à Kokkala m’a dépassé. M’ayant reconnu, ils ont accepté de me conduire à Gythion d’une seule traite. Je leur ai dit que le Magne m’avait profondément marqué et que je reviendrai un jour — ces choses qu’on dit en sachant pertinemment qu’elles pourraient ne jamais se réaliser. Sombre, le mari a ironisé: « yes, one day… »
Le reste de la journée à Gythion, jolie petite ville touristique où j’ai pu savourer, à la Grecque, les fameux cafés frappés qu’ils boivent tous ici, du matin au soir, et toujours très lentement, une gorgée par heure, guère plus, pour le gout au fond du palais. Commander au matin son café frappé bourré de lait, de sucre, et le trimballer toute la sainte journée dans son gobelet en plastique translucide me semble être le signe le plus distinctif de l’hellénisme urbain contemporain.
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