Longue journée qui s’achève à dix-huit heures, à Kokkala, côte Est du Magne. J’y ai trouvé où dormir et à me rassasier pour presque rien, dans la chambre inoccupée d’une vieille dame, après qu’une famille m’avait indiqué son adresse en me couvrant de victuailles — deux bananes, trois pommes, une grande bouteille d’eau : je devais avoir l’air au bout du rouleau…
J’ai quitté Sparte ce matin sans savoir de quelle manière remercier G. Sans lui, nul doute que mon séjour grec aurait été bien différent. Je lui enverrai un cadeau à mon retour. Je pensais gagner Géroliménas à pied depuis Aréopoli — cinq ou six heures de marche — mais un vieux maniote me l’a déconseillé dès ma sortie du bus : l’orage menaçait, sans compter qu’un bus indiqué nulle part allait justement à Géroliménas dans quinze minutes.
Ce n’est que dans ce bus, donc (en Grèce, toujours des histoires de bus), après Aréopoli, le long de la côte ouest, regardant simplement par la fenêtre sous le ciel peu engageant, que j’ai découvert ce que sont les paysages maniotes, leur spécificité, l’architecture si particulière de ces maisons-tours qui sont autant de forteresses imprenables, et pourquoi quand on le voit, le Magne, on ne veut plus l’oublier jamais. Les reliefs y sont escarpés et leurs sommets comme pelés par les vents ; l’air est sec, des rocailles partout, des petits murets innombrables barrant chaque colline, et les arbres à présent se font rares, ils ont laissé place à la végétation des déserts.
À la pointe, Géroliménas est un village superbe, un endroit de bout du monde à l’abri des colères humaines, mais il s’est donné sans mesure à l’activité touristique et tout m’y a paru comme en toc. Je ne me suis pas attardé. J’ai choisi de faire le tour de la péninsule, dormir quelque part sur la côte Est puis me rapprocher de Gythion, ma prochaine étape.
Sur les routes où je cheminais, il y avait une course à pied — d’Aréopoli à Aréopoli en passant par Gérolimenas, quatre-vingts kilomètres, belle performance — et j’ai pu échanger avec nombre de coureurs qui pour la plupart ne courraient déjà plus, épuisés. Une jeune Athénienne notamment, mon âge, qui mangeait nonchalamment sa ration vitaminée : comme moi elle découvrait le Magne ; elle avait préféré marcher pour découvrir le paysage sauvage et la mer turquoise, l’océan en prise directe.
On m’a pris en stop plusieurs fois, j’ai beaucoup marché également — vingt, trente kilomètres ? — avant de m’arrêter, fourbu, à Kokkala. Là, on sent, les touristes ne viennent jamais. C’est un village de pêcheur, pauvre, presque miséreux, qui ne doit pas compter plus d’une centaine d’âmes ; on m’y a accueilli avec enthousiasme. Des types qui viennent hors saison, à pied, avec rien d’autre qu’un sac et un bâton, et qui trainent longtemps après le repas au milieu des vieux qui jouent aux cartes, ils ne doivent pas en voir souvent. Des enfants d’une dizaine d’années s’amusaient beaucoup de ma présence ; on me demandait mon prénom, on me faisait prononcer des mots grecs rigolos ; même les vieilles dames me lançaient des regards aguicheurs...
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