En route vers Pyrgos par l’autoroute, en bus, à travers un paysage austère de vallons rocailleux, quelques maisons en ruine et des zones commerciales ridicules au milieu du quasi-désert.

J’éprouve quelques difficultés à trouver mon chemin ; l’alphabet grec m’est mystérieux et, la transcription en alphabet latin n’étant pas systématique, je peux me méprendre sur le sens du panneau directionnel le plus simple. Attraper ce bus pour Pyrgos a donc été une aventure en soi ; m’éloignant du centre-ville, les Athéniens parlaient moins l’anglais, alors je me suis débrouillé en faisant de grands gestes — comment mime-t-on le Péloponnèse avec les mains ?

C’est finalement deux grands gaillards à dreadlocks, Makis et Giorgio, qui, de retour d’un long voyage en Amérique latine, rentrant à Pyrgos, m’ont indiqué lequel de la trentaine de guichets ouverts à la gare routière pouvait me délivrer le bon billet.

La veille, mon passage dans le quartier d’Exarchia a été très fructueux. Longue discussion avec Dimitri, un anarchiste néanmoins vendeur de weed, qui m’a longuement parlé de son pays et des merveilles que je ne devais pas manquer. Le Lycavittos, bien sûr, mais également Kalabaka dans les Météores, où je trouverai de superbes monastères à flanc de falaise — et sur son téléphone, Dimitri m’a montré des vidéos de ces merveilles, filmées en haute définition par des drones : j’ai voulu engloutir tout le restant de ma bière pour y partir sur le champs !

Quittant Exarchia, j’ai fait la rencontre de Vassilikis, une jeune étudiante en histoire des arts, de huit ans ma cadette, et nous avons passé ensemble la soirée avant de tomber de fatigue : je n’avais pas fermé l’oeil depuis vingt-quatre heures. Nous avons abordé la situation politique en Grèce, et Vassilikis me l’a dit sans détour : « ceux de ma génération sont pleins de colère mais restent sans espoir ; même les professions les plus prestigieuses, avocats, médecins, n’échappent plus à la paupérisation ; alors pour s’en sortir il faut partir, gagner Londres, Berlin, là-bas il y a du travail pour tout le monde.» Et j’ai réalisé soudain qu’à Athènes, depuis la dizaine d’heures que j’y séjournais, je n’avais vu qu’une poignée de riches, mais tous, sans exception, étaient des touristes, des étrangers. Parmi les Athéniens, je ne crois pas avoir croisé quelqu’un qui affichait même discrètement les signes de l’opulence. J’ai regardé autour de moi dans le bar où nous étions, un joueur de flûte se fatiguait sans y croire, la majorité des clients fumaient des cigarettes roulées à la main puisqu’elles sont les moins chères. À Paris la plus grande richesse côtoie la plus grande pauvreté ; à Athènes, pour le peu que j’ai pu voir, la pauvreté semble partout, secrète, elle s’étale.

Arrivé en fin d’après-midi chez Vassilis, après avoir laissé Makis et Giorgio qui m’avaient gentiment amené directement à Skafidia, où je séjournerai pour le mois à venir. Avant, nous avons fait une halte chez un couple de leur connaissance : deux gentils fumeurs de joints reculés dans la campagne, vivant dans rien de plus qu’une cabane améliorée, et d’où sortait un gros son drum ’n bass. Arrivé à destination, j’ai découvert la propriété de Vassilis, les chiens Castro et Aris et les poules caquetant. Ici c’est la campagne, la vraie, mais déjà le soleil terne qui nous avait accompagné toute la journée s’est couché derrière les reliefs de l’Hélide, me privant ainsi d’apprécier le paysage. Installons-nous.