« Un peuple s’est réveillé un jour et son ciel avait disparu. Pendant la nuit, les frontières avaient glissé, les cartes avaient été redessinées dans des chancelleries lointaines, et ses enfants naissaient déjà exilés. On lui a pris sa terre, on lui a pris ses morts, et l’on tente encore de lui confisquer son récit. » La mémoire volée
Deux jours à peine de lycée et retour de la tension en serrement de poitrine qui me retire le sommeil et m'aiguise les nerfs. J'essaye d'installer l'habitude de la sieste.
Aden ou la transparence de l'air, à peine terminé dans l'aube du sans-sommeil. Belle description de Paris – le réel vers l'extérieur, précisément – et la figure superbe d'Amanda.
Déjà je remâche les frustrations minuscules qui me réveillent tôt et confèrent à chacun des battements de mon cœur un écho caverneux. Les habituelles broutilles de début d'année – et jusqu'à la clef de mon casier qu'on vient de me reprendre et pour laquelle j'éprouve un sentiment d'injustice aussi puissant que ridicule.
Le Culte de l'Auteur, de Geneviève Sellier, voudrait analyser les rapports entre l'avènement du réalisateur de cinéma comme un auteur, et le système patriarcal dans lequel nous sommes. Et je suis d'accord, je crois que c'est la clef pour comprendre d'une autre manière autant l'histoire du cinéma que de certains rapports sociaux depuis les années 50. Malheureusement, le texte n'est qu'une succession d'observations à l'emporte-pièce, parfois contradictoires les unes avec les autres, et n'entreprend qu'un jeu de massacre infantile pour se payer les têtes d'affiches du cinéma français – feignant d'ignorer, pour détestables que ces gens-là soient parfois, qu'ils ne font pas tous les mêmes films.
Je suis insomniaque. Je viens de me le dire. Insomniaque il faut l'accepter. Réveil à deux heures sans me rendormir une fois de plus. Insomniaque il faut l'accepter, qui résonne bizarrement à mon oreille. Insomniaque fait romantique, écrivain maudit en son perpétuel combat – mais la réalité du sans-sommeil c'est la fange, c'est l'être privé d'être, tous mouvements bloqués dans le labyrinthe des heures. Je ne connais pas d'état moins désirable que le sans-sommeil.
Trois cachets de valériane plus deux de mélatonine au coucher, plus un cachet de valériane toutes les huit heures.
À l'Oakland Mall ce samedi pour acheter des fringues : gens blancs tout de fard, couverts de trucs semi-luxe, claquant des smics sous une lumière dorée avec wonderwall pour la soixantième fois de la journée. Mais nous y avons claqué un smic à notre tour. Et le temps passe. Et qui sait : si nous restions là dix ans nous serions peut-être recouverts du même fard et des mêmes trucs semi-luxe, et trouverions, comme ces petits papas distingués, assez agréable tout compte fait de passer là notre weekend entre les lumières et les parfums d'ambiance à contempler les dernières bagnoles byd tournant sur les manèges.
Ce matin j'improvise quelques minutes, et, pour mon premier cours sur la laideur, je leur montre un portrait de Betty la fea qu'ils connaissent tous. Les lunettes mal ajustées, la laque horrible sur la frange, les bagues proéminentes et le sourire de dégénérée. Je leur demande les raisons de la laideur de Betty, alors les élèves se lancent, un peu surpris, dans la description de son visage, afin de trouver les mots de la laideur. Seulement, quand vient le moment d'interrompre l'improvisation et de reprendre le fil de mon cours, je réalise que j'ai manqué l'essentiel, le plus évident, et c'est déjà trop tard quand je m’en rend compte : si Betty est laide, c'est parce qu'on l'a enlaidie à dessein, avec ces habits comme des tapis suisses, sa coiffure grotesque et son appareil dentaire. J'ai oublié et c’est très grave de leur dire que Betty n'est pas laide.
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