Retour aux élèves, à la joie qu'ils portent en toute occasion, leurs blazers à leur nom siglés du numéro 47, les petites perles collées que les filles arborent sur le visage. Moi, je leur dis que c'est la première et qu'ils vont en chier.

Carretera a el Salvador infierno. Une heure aller, une heure retour, pour une poignée de kilomètres de béton abîmé, étouffant de ferraille et de fioul.

Promenade sur les collines qui bordent Lo de Valdez. Les pluies tombent, spectaculaires, route pleine de deslisamientos et l'appart lui-même, parfois, se remplit d'eau. Les pluies percent les murs.


Tenir le cœur et le pouls, les nerfs qui montent aux premières heures de la journée, tenir, aplanir – être plaine et mer étale – porque fluir es vivir. À la photocopieuse, ce matin, je voulais que les élèves tombent amoureux de Rimbaud en leur distribuant sa photo avant d’entrer dans le vif du sujet. Mais la machine s'évertuait à tracer une ligne dégueulasse en travers du portrait. Puisque je gueulais et m'énervais contre elle, L. m'a dit en riant : « toi, tu vis les choses avec beaucoup d'intensité » et j'ai répondu, sans réfléchir, trop abruptement, que c'est précisément ce qui me vaudrait un avc à quarante-cinq ans. Léger blanc.


C'est la seconde fois que je traverse Pedro Páramo en fantôme. Tout m'échappe dans ce texte, les noms, les temps et les intentions ; c'est obscur mais incroyablement clair dans le climat des mots et la tessiture. Et pourquoi je m'acharne à relire ces chefs-d'œuvre (dit-on) qui sont plus forts que moi ?


Me odio la putain de route vers le lycée pleine de ferraille, de gaz et de pluie sale, une heure et demie aujourd'hui pour rentrer et je sens à présent la carretera dans ma poitrine qui pulse et m'excite et me fait dire non, cette ville n'est pas pour toi, pour personne, territoire perdu asservi aux mains des fils de pute qui l'exploitent jusqu'au sang du goudron.

Asturias, Messages indiens, puis le début baroque extrême, salâmmbesque, des Légendes du Guatemala.


Travail sur Onur pour le Novelliste ; rendre le texte plus précis et plus stable. C'est marrant : Onur, Obi, j'avais pas fait gaffe.

Le Cercle Rouge, où Bourvil ressemble à un personnage de Blake et Mortimer.


Dans Légendes du Guatemala – pas aussi illisible qu'on le dit – il y a ce long poème en prose intitulé « Les sorciers de l'orage du printemps », enchaînement d'images insensées, superbes et grotesques, qui me donnent l'impression de percer enfin la carapace poétique d'Asturias. Il faut baisser les défenses, laisser seules les images s'associer, accepter la perte des repères car on est dans la jungle entouré d'esprits et de volcans.

« Au-delà des poissons, la mer se trouva seule. Les racines avaient assisté à l'enterrement des comètes dans la plaine immense de cela qui n'a plus de sang, et elles étaient lasses et sans sommeil ».


Día de la independencia. En ville, des groupes courent dans les rues avec des entorchas et se relayent à bord de pickup qui les accompagnent.

Au cinéma, Rita, de Bustamente. Très beau film tout de réalisme magique sur ces quarante filles mortes brûlées dans une institution pour délinquantes en 2017.

Quelques questions de grammaire me trottent. D'abord : quelle meilleure manière d'aborder les subordonnées circonstancielles ? Ensuite, cette phrase dans Quatre couleurs : « et l'énergie qu'on met à déplacer la lance [...] est l'énergie manquante précisément pour la clarté, l'attention aux détails » manquant, ou manquante ? Que des mauvaises solutions ici.


La honte hier soir devant les padres et les élèves pour leur présenter le déroulement de l'année, car incapable de dire trois mots corrects d'espagnol, aucune conjugaison, rien, balbutiements, et les regards amusés-gênés de l'assistance. Et je me vois tel que je suis, tout ce que je voulais éviter : un autre de ces expatriés caricaturaux payé à prix d'or pour débiter du commentaire de texte, ne fréquentant que des français, ignorant la langue du pays où il est, aveugle à tout et rempli de ses prétentions.

Mais l'espagnol ne vient pas, n'est jamais venu, sans doute ne viendra plus – mais comment est-ce possible après un an de présence ici, quand B., elle, est presque déjà fluide ? Comme s'il n'y avait de place que pour une seule langue dans ma tête.